Tumeurs à bord

Les hôtesses de l’air ont 30% de facteurs de risque supplémentaires de développer un cancer du sein. Elles travaillent la nuit et sont exposées aux rayons ionisants. Air France affirme que maintenues en dessous d’un certain seuil d’exposition, elles sont en sécurité.

Publié par Eve Chancel - le 18 mars 2024

« Des sujets il y en a partout, dans votre quotidien, sous vos yeux, observez » nous enseigne-t-on au CFJ. Ma mère est tombée malade en 2017. Je n’aurai jamais pensé que cet épisode de ma vie privée nourrirait un jour une enquête journalistique.

À ma maman. Tu es toujours aussi belle.

Les seins de maman trônent sur la table. La, devant nous, sous nos cinq regards. Les radioscopies de sa mammographie sont étalées dans la cuisine. J’attrape un des scans. Du bout des doigts. C’est froid, souple et lourd à la fois. J’ai pas envie de le tenir dans ma main, alors je le pose entre mes deux coudes. La tête baissée, j’aperçois cette minuscule boule noire, de rien du tout, nichée sous le sein droit de ma mère. Elle nous fait tous peur. « C’est sûr c’est bénin », avance papa. Comme s’il y connaissait quelque chose. Il est pharmacien, pas radiologue

Le 24 mai 2017, maman a un cancer

Maman a fêté ses 53 ans en octobre. Une vie pleine d’aventures et de voyages. Elle a enfilé l’uniforme bleu marine d’Air France quand elle avait 20 ans. Elle vient de rencontrer Papa. C’est lui qui la pousse à faire le concours. Maman a juste le bac alors elle n’y croit pas. Ah non, je me trompe. Elle a aussi le titre de première dauphine au concours de miss Paris. Et oui, maman est belle. Avec ses boucles brunes qui lui tombent dans le dos, Papa aime bien la surnommer Esmeralda.

Santiago du Chili, Hong Kong, New York, Dakar. Les boucles brunes de ma mère font le tour du monde. Aplaties sous un bonnet péruvien ou une casquette floquée LA. On les aperçoit aussi devant la mosquée Jumeirah de Dubaï, s’échappant du voile blanc dans lequel ma mère est enturbannée.

Quand elle travaille, elles les relèvent en chignon banane. Maman rayonne. Comme toutes les autres, ça fait partie du métier. Sourire, servir, les deux en même temps. « Elle doit être belle ta mère si elle est hôtesse de l’air ! ».

Les hôtesses de l'air d'Air France ont l'obligation d'être maquillées. /EC

Maman devait emmener ma petite sœur à Saint-Martin. 18 heures de vol aller-retour pour quatre jours de sable fin, d’eau turquoise et de cocktail ananas papaye. À la place, maman se fait retirer le sein. Le vrai mot, c’est couper. Plus rien, tout plat d’un côté.

Maman passe une semaine dans sa petite chambre d’hôpital.

Le lit prend toute la place. Elle est tout le temps dedans. Elle regarde des films sur Netflix, traîne sur son IPad. « Tu peux me créer un Facebook ? ». Maman est pas du tout réseaux sociaux. Ça m’étonne. Avant même d’ajouter une photo de profil, elle demande à être ajoutée dans le groupe « Les hôtesses de l’air contre le cancer ».

Il existe depuis 2 ans. Deux PNC (Personnel Navigant Cabine) d’Air France ont voulu aider une amie malade en lançant une cagnotte. En discutant autour d’eux, ils se rendent compte qu’elle est loin d’être la seule. La cagnotte devient un forum de discussion puis une association. Ils sont « effarés du nombre d’appels et de messages ». « C’est une déferlante » raconte Astrid Beaumont, l’ancienne présidente. Elle cogite. « Ça se trouve, c’est l’arbre qui cache la forêt ».

Aujourd’hui, le forum de discussion qu’on rejoint, malade ou non, après approbation de l’association, compte 2 000 membres. Air France c’est 22 000 PNC. Chaque jour, des dizaines de messages sont postés. L’association, elle, compte 200 adhérents. « Je découvre de nouveaux cas régulièrement, avance Jean-Claude Chau, l’actuel président. Beaucoup de femmes touchées ne sont pas là ».

Hôtesses et stewards, "personnel exposé aux rayonnements ionisants"

On lit sur le site internet de l’association que les navigantes ont 30% de facteurs de risque supplémentaires de développer un cancer du sein. « A cause du travail de nuit et des radiations ionisantes ». Les radia… quoi ? C’est quoi ce bordel ?

Moi, je ne sais pas ce que c’est, mais Jean-Claude Zerbib, lui, maîtrise le sujet. L’ingénieur en radioprotection est intervenu deux fois à Roissy pour expliquer aux hôtesses le phénomène. « J’avais préparé des topos, elles ne savaient pas grand-chose ». Il a travaillé 40 ans au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). À 85 ans, il continue de plancher bénévolement sur le sujet pour la CFDT.

« On parle aussi de rayons cosmiques, explique-t-il. Ils viennent du cosmos, des étoiles du soleil. Ils sont en partie arrêtés par la couche d’air qui, au-dessus de notre tête, nous protège. Plus on monte en altitude, plus elle s’affine, plus la protection diminue et plus le rayonnement augmente ». Un jeu d’enfant.
« L’intensité du rayonnement varie aussi en fonction de la longitude, ajoute l’ingénieur retraité. Près des pôles, les radiations sont plus intenses. Donc une hôtesse qui fait des Paris Marseille est moins exposée que celle qui enchaîne des Paris Tokyo ou San Francisco, deux vols pour lesquels l’avion passe près du pôle Nord ».

Quand il découvre le dossier hôtesse de l’air en 2018, c’est le choc. « Je suis tombé de ma chaise. » Lui l’expert chevronné qui a vécu Tchernobyl depuis le CEA était convaincu que les travailleurs les plus exposés aux radiations étaient ceux évoluant près des centrales nucléaires. Logique. Et bien non. « J’aurais jamais pensé… », admet-il. « En France, il y a 360 000 personnes exposées à ces radiations. Environ 22 000 sont des PNC. Et si on fait la somme des doses collectives, ils reçoivent 40 % de la dose collective totale ».

Chiffre que la médecine d’Air France confirme. « Bien sûr qu’on est plus élevé que les salariés d’EDF, en dose collective et individuelle », admet le docteur Michel Klerlein, le médecin du travail de la compagnie, où il travaille depuis 25 ans et coordonne le service de santé au travail, soit 70 praticiens, depuis 14 ans. « Car eux peuvent se protéger, pas nous ! La dose des PNC est irrépressible. La seule manière de l’éviter, c’est de ne pas voler », conclut-il.

Environ 2 000 hôtesses s'échangent des conseils sur le forum de discussion des hôtesses contre le cancer. /EC

"Maman, tu savais pour les rayons ionisants ?"

Maman savait. « Ça se calcule en mili je sais pas quoi ». Millisieverts (mSv). C’est l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire qui s’en occupe. « Les effets des rayons ionisants sont de deux ordres, écrit l’IRSN, déterministes pour des doses élevées (ex : brûlure radiologique), stochastique pour des doses plus faibles (ex : cancer) ». Effets qu’Air France détaille dans le volet « prévention » de sa documentation interne.

L’Institut national de la santé et de la recherche médicale, INSERM, confirme. « Certaines professions ont été associées à un risque accru de cancer du sein […] le personnel naviguant », lit-on dans un rapport de 2013.

De nombreuses études étrangères (norvégienne, danoise, anglaise, américaine) sont citées par l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, dans un rapport de 2023.

 

Une étude de cohorte américaines (Reynolds et al. 2002) a montré que le risque de survenue du cancer du sein était significativement plus élevé pour les membres du personnel de cabine affectés à des vols internationaux.

 

La méta-analyse de six études de cohorte du personnel navigant pour une série de causes de décès ou de sites de cancer réalisée par Ballard en 2000, a montré un risque légèrement augmenté de cancer du sein chez les hôtesses.

 

Il en est de même dans la métanalyse réalisée par Tokumaru et al. (2006) sur 5 études montrant une augmentation significative de l’incidence de cancer du sein. 

Dans sa revue de 2005, Telle-Lamberton a conclu que des excès de cancers du sein ont été observés chez les PNC.

 

Etc

« Oui, parmi les PNC il y a, selon la littérature scientifique, un peu plus de risque d’avoir un cancer du sein », admet difficilement Michel Klerlein, le médecin chef d’Air France. Ce qui explique qu’à Air France, la première mammographie a lieu à 40 ans, soit 10 ans plus tôt que la moyenne. Selon lui, les PNC sont 1,4 fois plus exposé que le reste de la population. Pour 100 cas sur 100 000 personnes, il y aura entre 140 cas chez les PNC. L’association des hôtesses de l’air contre le cancer avance, elle, la fourchette de 1.5 – 3.2 », soit entre 150 et 320 cas chez les PNC contre 100 dans le grand public.

Depuis 2014, les entreprises ont l’obligation de fournir aux employés les doses de rayonnements reçues : les rayons cosmiques sont devenus facteurs d’exposition professionnelle. Hôtesses et stewards sont entrés dans la catégorie « personnel exposé aux rayonnements ionisants » établie par le Code du travail. Les articles R4451-1 et suivants, les placent en catégorie B : ils doivent être exposés à moins de 6 mSv par an. « Une alerte est donnée lorsqu’un personnel atteint 5 mSv », précise la direction d’Air France, qui modifie alors le planning du PNC. Un vol du groupe 4 (Dallas, San Francisco, Tokyo…) fortement exposé, est remplacé par un vol du groupe 1 (Dakar, Lomé ou encore São Paulo) pour lequel l’avion n’approche pas le pôle.

La « vraie limite » reste selon le médecin d’Air France les 20 mSv fixés au niveau européen. « On en est bien loin, avance Michel Klerklein. En moyenne, un navigant qui fait du court ou moyen-courrier cumule 2 mSv dans l’année. Sur long-courrier on est autour de 3,5, 4 mSv. Contre 1 mSv par an pour un individu lambda vivant à Paris ». Les premiers effets sur la santé, documentés et réels, seraient visibles à partir de 100 mSv.

"Ce métier qu'on a adoré mais qui à la fin nous détruit"

Dès 2014, une hôtesse souhaite faire reconnaître son cancer comme maladie professionnelle. Sandrine a eu son cancer le 14 février 2014. « Je viens de fêter les 10 ans », souligne-t-elle aujourd’hui à 51 ans. C’est la doyenne, la première à s’être mis dessus et la seule à avoir fait une demande de reconnaissance.

La « nana de l’assurance-maladie » la prévient : « ça risque de ne pas marcher ». « Puis c’est très technique ». Mais elle y croit. Un médecin accepte de lui faire une attestation de reconnaissance de cause a effet entre son métier et son cancer. Une enquête est menée auprès d’elle et de la compagnie.

De son côté, l’association des hôtesses contre le cancer contacte un avocat et présente le dossier de Sandrine. Il est prêt à attaquer Air France en justice, à condition de trouver 10 participantes. Un appel est lancé via l’association.

Un deuxième.

Un troisième.

Deux participantes. C’est tout.

Le plan avec l’avocat tombe à l’eau. Sandrine, elle, ne donne pas suite à la sécurité sociale dans les deux mois impartis. « J’étais KO, je l’ai pas fait. Je me suis laissé couler ». Elle ajoute. « Il faudrait que chaque hôtesse malade fasse une demande ! ».

Dix ans plus tard, toujours aucune hôtesse n’a fait reconnaître son cancer. « On cherche un bon dossier, avance Monique Rabussier, ancienne hôtesse au sol en charge du dossier à la CFDT. Même combat du côté de L’UNPNC, un autre syndicat : mettre la main sur la perle rare, le cas qui passera. « C’est dur et long, ajoute la syndicaliste. Premièrement parce que les femmes craignent de ne plus voler ».

« C’est compliqué de quitter un métier qu’on a fait pendant 20 ans ». Aude a des trémolos dans la voix. Elle a commencé à voler en 2000, découvert son cancer en 2019. « J’en rêve tous les soirs de ce métier, ce métier qu’on a adoré mais qui à la fin nous détruit ». Elle est en rémission et se fait reconstruire le sein. 

« À une période, je faisais du Los Angeles et Tokyo tous les mois. Les gens me disent "tu te l'ai crée ce cancer" car personne n'est touché dans ma famille ». /Aude.

Déclarer son cancer en maladie professionnelle ? Elle y a pensé, mais ne se sent pas capable de le faire toute seule. « J’ai peur des représailles de l’entreprise… Elle est comme une maman, on y est en sécurité, elle nous aide, alors on va faire attention de ne pas la contrarier. Je culpabilisais beaucoup quand j’étais malade, avoue-t-elle. Elle voit ses anciennes collègues continuer de voler, sans arrêt. Certaines ont fait toute leur carrière sur long courrier, d’autres enchaînant les Paris-Tokyo.  « J’ai peur pour leur santé ».

Monique Rabussier souligne en deuxième obstacle, une forme de violence financière. « Une hôtesse est indemnisée que sur son salaire fixe, alors que les primes forment une partie importante de son revenu » dit-elle. Madly a été diagnostiquée en 2018 d’un lymphome non hodgkinien. Elle gagnait 3 400 euros avec ses primes, 2 900 en fixe brut. « Je suis tombée à 1 200 euros. C’est la double peine ». Elle était abonnée non pas au vol Asie, mais au Paris – San Francisco, vol catégorie 4. Au bout de six mois, grâce au fonds de pension de la compagnie, elle est remonté à 1 800 euros. 

Madly tient à souligner qu'elle a été « très bien accompagnée » par la médecine d'Air France. /Madly.

« Il y a tout un tabou lié à l’esthétique dans notre milieu, soulève pour finir Monique Rabussier. Le cancer du sein attaque la féminité, la sexualité, provoque la peur de ne plus être soi-même. On est tellement dans l’intime que des femmes touchées n’en parlent pas ».

Maman trouve plein de conseils sur le groupe Facebook des hôtesses contre le cancer. Pour le boulot, l’arrêt-maladie, la sécu, le moral. La perruque. « Coucou les Warriors, comment avez-vous fait pour reprendre les vols avec 1mm de cheveux sur la tête ? Perruque ? Merci pour vos réponses ! », poste Sylvie, une hôtesse malade.

Sur les draps jaunes du lit de mes parents tombent les premiers cheveux de ma maman. Au début, on n’en parle pas. Elle veut les garder le plus longtemps possible. Elle se coiffe de manière à combler les trous, achète une laque haute tenue. Puis au fur et à mesure, ça commence à être vraiment pas beau. Ça fait comme les chats qui perdent des touffes de poils et ont des gros trous dans le pelage. Les chats qu’on n’a pas envie de toucher. Je sais pas si Papa touche encore maman, j’espère. Je crois que oui, ça doit la rassurer de toujours lui plaire.

L'association des hôtesses contre le cancer a abandonné toute forme de revendications politiques. Elle organise des vols roses et vend des goodies (portes clefs, autocollants, rubans). /EC

Papa est chauve, et maintenant maman aussi. Mais finalement les cheveux c’est pas le plus choquant. Le pire, c’est les sourcils. Les yeux sans rien au-dessus, c’est ça qui donne l’air malade. On choisit ensemble la perruque. C’est cher, mais tant pis, autant prendre quelque chose de bien. Maman aime pas la porter, ça la gêne, alors à la maison elle met rien. On l’essaye nous aussi, elle nous va plutôt bien. On fait des photos, on arrive à rigoler un peu quand même.

« Les compagnies aériennes vont flipper ! »

En novembre 2023, le cancer de l’estomac d’une hôtesse coréenne a été reconnu comme maladie professionnelle. En cause, « une exposition excessive aux rayons cosmiques ». Song, décédée, aurait été exposée à des niveaux de rayonnement bien plus élevés que ce que Korean Air admet. Elle a volé toute sa vie près des pôles. La compagnie a affirmé pour sa défense qu’elle « surveille l’exposition et la limite en dessous du maximum légal ». Air France n’a pas souhaité commenter la décision. La médecine de la compagnie pointe du doigts « l’alimentation très salée et les boissons très chaudes » que consomment les populations asiatiques. 

En France, seule une infirmière a réussi à le faire. Mars 2023. Martine a été malade à cause des rayons ionisants – issus des machines : radios et scanners – et du travail de nuit, deux facteurs à prendre en compte. Une étude de l’INSERM menée entre 2005 et 2008 a démontré que le travail de nuit des femmes augmente le risque de cancer du sein de 30 %. Si cette période de travail de nuit a duré plus de 4 ans et demi, le risque monte à 40 %. Seul le Danemark, depuis 2007 reconnaît de manière officielle le travail de nuit comme un risque professionnel. En Norvège, le cancer du sein est reconnu comme maladie professionnelle au cas par cas.

« Il y a une combinaison de facteurs – travail de nuit, génétique, tabac, alcool, rayons ionisants – qui s’additionnent et qui font qu’il y a plus de cancer du sein chez les PNC », affirme le Docteur Delphine Loirat, oncologue à l’Institut Curie, spécialiste du cancer du sein. « Il y a un surrisque probable lié aux rayons ionisants, mais ce n’est pas x20, c’est quelques points ». Ces facteurs dit « de confusion », empêchent d’établir un lien direct entre le métier de PNC et le cancer du sein.

« On a tâtonné aussi, avance Lucien Privet, le médecin de la CFDT qui s’est chargé du dossier de l’infirmière. Mais le plus dur, c’est le premier ! Ça va rouler maintenant, il me reste plus qu’à recevoir un dossier d’hôtesse ! ». Au total sept autres cas de soignantes ont été reconnus. « Il faut reconnaitre un maximum de cas pour forcer les politiques à faire rentrer la maladie dans tableau 6 – celui des rayons ionisants – et faciliter la reconnaissance », explique-t-il. Il souligne « une vraie réticence de la part des entreprises » qui devront alors indemniser leurs employés. « Imaginez qu’on reconnaisse quelques hôtesses de l’air, les compagnies aériennes vont flipper ! »

Il y a-t-il une chance qu’un dossier d’hôtesse voit le jour ? « Pour convaincre, faut amener des chiffres solides, répond le médecin d’Air France Michel Kerklein. Avec le rapport de risque faible – de 1,4 – et les facteurs de confusion, sauf pression médiatique énorme, je ne vois pas comment… ».
Alors du moins, est-ce que ça mériterait d’être reconnue comme telle ? « Oui, je pense que oui, avec des limitations », répond le médecin. « Si ce n’était pas à la charge des employeurs, il y aurait beaucoup plus de maladie. Normal qu’ils se défendent un peu ».

« C’est une machine de guerre et nous nous n’étions rien »

L’association des hôtesses contre le cancer demande en 2018 à Air France d’impulser une étude pour documenter le sujet. « Ils nous ont envoyé paître, explique Astrid, l’ancienne présidente. Je me suis heurté à des murs, ça ne les intéressait pas. C’est une machine de guerre et nous nous n’étions rien ». 

Marie Iside, une hôtesse malade, est interviewée par RTL sur le sujet. Elle évoque le lien entre son cancer du sein et sa profession.  « La fille de la communication oriente mes réponses, se souvient Marie. Elle veut que je mette Air France en valeur ». A la suite de quoi, Astrid, de l’association, se fait remonter les bretelles « Il ne voulait pas qu’on aborde trop le sujet, raconte-t-elle. C’est un combat politique qui nous dépasse complètement ». 

La compagnie a tout de même pris conscience du phénomène puisqu’en 2018, dans l’ignorance d’une majorité des PNC, elle a lancé une étude sur le sujet, « SPACE » avec l’IRSN et Santé publique France. L’objectif ? Avoir un chiffre. Car aujourd’hui, impossible de savoir combien d’hôtesses sont concernées. « On se penche sur la dose exacte et réelle que les gens ont reçu pendant leur vie professionnelle, explique Michel Klerlein, le médecin d’Air France. L’enquête porte sur une cohorte de gens qui a travaillé au moins un an dans la compagnie entre 1968 en 2017, soit 40 000 personnes. La première phase prendra fin l’an prochain. « Une seconde phase verra en place une étude cas-témoin nichée dans la cohorte permettant des estimations de taux d’incidences standardisés pour certaines pathologies d’intérêt, dont le cancer du sein », précise la direction d’Air France.
« L’accompagnement à la prévention est une mission essentielle des équipes de Santé au Travail, ajoute-elle. Elle cite « l’Incitation à l’autosurveillance », « l’accès à un réseau de spécialistes à court délai de prise en charge en cas de suspicion d’anomalie sénologique » et « l’évocation systématique des antécédents familiaux et des facteurs de risque de ce cancer lors des visites médicales et infirmières périodiques ».

Outre-Atlantique, le sujet gagne aussi du terrain. Aux Etats-Unis, la plus longue et grande étude sur le sujet se poursuit va sortir son troisième volet. 2018, 2022 et, bientôt, 2024. « Bientôt on établira un lien direct entre rayons et cancer », avance Eileen McNeely, la chercheuse d’Harvard qui dirige l’étude lancée en 2001, « sans aucune coopération des compagnies américaines ».
Elle analyse actuellement du sang et de l’ADN d’un PNC avant et après un vol pour regarder ce qui se passe réellement en termes d’exposition aux rayons. « On manque encore de données mais nous voulons rendre visible ce que personne n’a intérêt direct à faire ».

Le métier continue d’attirer. Ines et Lola ont 24 ans et viennent d’intégrer la compagnie. Elles sont toutes les deux filles de navigants. « Je voyais ma mère, ça me faisait rêver petite », raconte Ines qui finit son alternance et espère décrocher un CDI. Les rayons ionisants, on lui en a parlé pendant son intégration. Mais le site pour consulter ses doses, elle ne connaît pas. « Le cancer très peu. Je sais qu’il y a une association qui fait des vols roses, explique-t-elle. Si on veut s’y intéresser, on peut, mais pas spécialement briefé sur ça ».
Lola, elle, voit souvent le logo de l’association affiché à Roissy. « On est grave au courant du cancer, on a des vols spéciaux ! On a 30 % de chance en plus d’en avoir ». Elle est bien renseignée. « Tu sais dans quelle merde tu t’embarques, mais ça n’a pas impacté mon choix. Je préfère vivre 55 ans en faisant le métier de mes rêves ». Personne n’a été atteint dans leur deux familles respectives.

Ma mère a quitté le forum de discussion des hôtesses de l’air contre le cancer quand elle a recommencé à voler, en 2019. « Ding, ding, ding, ding… ». Ça la hantait d’entendre la maladie sonner à longueur de journée.

 

Ma mère a fumé pendant 20 ans. Son dossier ne peut pas être porté en maladie professionnelle. /EC

Hier soir, je l’ai regardée se préparer pour son vol. Ce jeudi 29 février 2024, ma mère était de réserve. Maillot K-way doudoune. Elle a fait sa valise sans savoir où elle allait et embarqué dans l’avion où il manquait quelqu’un.

« Ding ». 10h ce matin, le verdict est tombé.
« Je pars au Cameroun, retour samedi matin. Bisous ma chérie ».
Je me souviens que Douala est classé catégorie 1.