À Levallois-Perret, l'empreinte de l'ancien maire
Balkany est indélébile

Par Maxence Armant

BALKANY CITY (2/2)

En 1983, Patrick Balkany devient maire de Levallois et transforme la ville. Malgré les condamnations, son héritage et sa proximité quotidienne lui assurent le soutien éternel d’une partie des électeurs.

D’un coup, les petites mains s’agitent, applaudissent ou dessinent de grands signes. Ce 11 mars, les enfants du collège Jean Jaurès de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) participent à un « Carnaval écologique » sur le parvis de l’hôtel de ville. Patrick Balkany, l’ancien maire, surgit. « Balkany ! Balkany ! Balkany ! » se mettent à scander les collégiens. David Xavier-Weiss, le premier adjoint de la maire Agnès Pottier-Dumas, était venu poser pour une photo avec les adolescents. Le voilà effacé. « Vous avez vu ? Il fait la gueule, l’adjoint », s’amuse le trouble-fête.

Tous les quinze mètres, un habitant l’interpelle : « Bonjour Monsieur le maire ». C’est comme si depuis 2019 et son départ contraint de la mairie, rien n’avait changé. Patrick Balkany rêve encore de se présenter aux prochaines élections municipales, mais la justice l’en empêche pour le moment. L’ancien baron a régné pendant trente ans sur l’hôtel de ville. Le temps seul n’explique pas une telle popularité.

En six mandats, Patrick Balkany a imprimé dans la commune de l’Ouest parisien la certitude d’avoir construit la ville. L’opinion l’érige en grand bâtisseur, malgré les polémiques et les déboires judiciaires. Les habitants lui reconnaissent aussi le sens du contact. Sa popularité s’est fondée sur les largesses d’un Hôtel de Ville plus généreux que jamais sous sa tutelle. 

« L'électeur est un consommateur » 

Dès sa première campagne, en 1983, Patrick Balkany cultive un lien privilégié avec les habitants. Lui et sa femme Isabelle installent une « mairie bis » juste en face de l’hôtel de ville. Ils y reçoivent les administrés, leur prodiguent des conseils, aussi bien légaux que fiscaux. A chaque fois, ils promettent de leur « arranger le coup ».

Une fois élu, Patrick Balkany choie ses administrés. « L’électeur est un consommateur », théorise Isabelle. Etats-Unis, Canada, Japon… Les enfants partent en voyage scolaire partout dans le monde, tous frais payés. Les seniors, eux, reçoivent miel, peignoirs ou places de concert plusieurs fois par an. La ville devient une adresse de choix pour parents et retraités qui n’ont pas forcément les moyens de s’installer à Paris. 

L’édile va même jusqu’à s’assurer que ces catégories de population bénéficient des logements sociaux et des immeubles privés, préemptés par la mairie. La sociologie de la ville est renouvelée. « Levallois, c’était un peu Disneyland dans les années 1990 », raille Sébastien Blanc, président de l’association des contribuables de la ville. La magie n’a pas totalement disparu. La nouvelle équipe municipale offre encore des cadeaux aux plus âgés.

Accusations de clientélisme

À l’époque, Patrick Balkany bâtit son système sur de solides recettes fiscales. Le parc immobilier haut de gamme de la ville et sa proximité avec Paris et La Défense attirent les grandes entreprises. Carrefour, la Cogedim ou encore Hachette Publicis s’installent à Levallois. « Son modèle fiscal, c’était un euro payé par le contribuable et huit par les entreprises », résume Sébastien Blanc. 

Les opposants dénoncent une forme de clientélisme. « Il a mis en place un système qui consistait à tenter de satisfaire chaque Levalloisien plutôt que satisfaire l’intérêt général, tacle Anne-Eugénie Faure, conseillère municipale socialiste de 2008 à 2020. En présentant les services dispensés par la mairie comme une faveur personnelle, que cela soit une place en crèche ou dans un logement social, il rendait les habitants redevables. Il leur disait ‘‘grâce à moi, vous êtes logés’’. Et les gens pensaient ‘‘Je suis obligé de voter pour lui’’. »

Olivier de Chazeaux a été maire de Levallois de 1995 à 2001. « La gestion populiste que l’on reproche aujourd’hui à des hommes politiques pour conserver leur place, Patrick Balkany en était l’expression même. Il s’agissait de faire croire au citoyen qu’il est un consommateur et que tout est fait pour lui, alors qu’il n’en a qu’une miette. », analyse-t-il.

L’ancien député-maire et sa femme, longtemps première adjointe, se moquent de ces accusations. « Moi, le clientélisme, je l’assume, pourfend Isabelle Balkany en 2019. C’est simplement être disponible, présent et être à l’écoute des gens.» Et s’en remettent à vanter la qualité des infrastructures et services de Levallois.

« La gestion populiste que l’on reproche aujourd’hui à des hommes politiques pour conserver leur place, Patrick Balkany en était l’expression même. Il s’agissait de faire croire au citoyen qu’il est un consommateur et que tout est fait pour lui, alors qu’il n’en a qu’une miette. »

Balkany a fait exploser la dette

Patrick Balkany, c’est aussi la folie des grandeurs. En 1983, il récupère une ville de friches industrielles, sur le déclin, communiste depuis 18 ans. Citroën a longtemps fabriqué sa 2 CV ici. Les usines ferment à la chaîne. Le maire investit dans l’immobilier pour attirer de nouvelles sources de revenus. 

La municipalité détient à près de 80% la puissante Semarelp, la société d’économie mixte de Levallois, qui pilote les grands projets d’aménagement urbain. Patrick Balkany en est le président jusqu’en 2014. Aucun membre de l’opposition ne fait partie du conseil d’administration. Il a carte blanche. Les tours et logements neufs sortent du sol.

Ces transformations ont un coût. La dette de la municipalité croît de 155 millions d’euros en 2000 à 785 millions en 2009, rapporte la chambre régionale des Comptes (CRC) en 2016. Levallois devient la ville plus endettée de France par habitant. Les magistrats pointent les « emprunts contractés par la commune pour le compte de la Semarelp ».

Dès 1995, les finances de la ville virent au rouge. Olivier de Chazeaux, tout juste élu après deux mandats Balkany, est sous pression. Le préfet des Hauts-de-Seine annonce que la ville doit être mise sous tutelle. Une cure d’austérité permet finalement à la nouvelle équipe municipale d’échapper à l’infâmie. « On s’est efforcé de faire en sorte que chaque denier public ait un vrai rendement. Et les employés de la Semarelp acquis à Balkany, je les ai tous virés », se vante l’ancien élu.

Le sport, autre vecteur de popularité

Arnaud de Courson a, pendant 20 ans, été conseiller municipal Divers droite (DVD) de Levallois. « L’influence et certaines mauvaises pratiques de Balkany sont toujours en place », assure-t-il. Le conseil d’administration de la Semarelp n’intègre encore aucun élu de l’opposition.

Agnès Pottier-Dumas, l’actuelle maire, estime « contraire à la logique » de nommer des personnes « suspicieuses et constamment critiques ». Et s’empresse de vanter sa gestion financière. En 2023, l’agence de notation Fitch a confirmé sa note de A+ – haute qualité de désendettement – attribuée à la ville.

Balkany se sert aussi du sport pour asseoir son règne. Il fonde en 1983 le Levallois sporting club (LSC), l’organisation omnisport de la ville. Il place à sa tête des proches, dont Jean-Pierre Aubry, son ancien bras-droit, qui lui a servi de prête-nom dans l’achat de sa villa de Marrakech. Il fait du club un vecteur de services publics et une vitrine pour la ville.

« L’influence et certaines mauvaises pratiques de Balkany sont toujours en place à Levallois »

Levallois manque à Balkany

Le réseau Balkany passe également par un contrôle sur son équipe municipale. A l’approche du procès le visant lui et sa femme en 2019, il demande aux membres de la majorité de signer une lettre dans laquelle ils affirment soutenir le couple. Le document est publié dans le magazine d’information de la ville, Infos Levallois. 

Isabelle dirige la communication de la ville. Elle sait y faire, elle est passée par le service communication d’Europe 1, après avoir débuté au journal Combat, propriété de son oncle, où elle a travaillé sous la houlette du journaliste Philippe Tesson. Dès la campagne municipale de 1983, elle s’assure de la bonne pub de son mari dans le journal « Objectif 92 » qu’elle a créé.

Patrick Balkany vit aujourd’hui en Normandie, dans son moulin de Giverny. Levallois lui manque. Alors quand il ne s’occupe pas de sa femme, dont la santé est très fragile, il retourne se promener dans les rues de son ancien fief. Les salutations et les remerciements des habitants l’apaisent. Et quand même les collégiens scandent son nom, il ne peut s’empêcher d’y croire, à son retour aux affaires. Il désigne les enfants de la main : « C’est elle la génération Balkany ! ». A Levallois, l’ancien maire se voit comme un vieux père.