Patrick Balkany, le Comte de Levallois-Perret,
veut sa revanche

Par Maxence Armant

BALKANY CITY (1/2)

À un an des municipales, Patrick Balkany s’est promis de se venger de la maire sortante, Agnès Pottier-Dumas, qu’il considère comme une traîtresse. Inéligible, il entend composer une liste et placer ses proches. 

C’est toujours le même sourire carnassier, les mêmes phrases aux passants, les mêmes tapes dans le dos. Patrick Balkany, 76 ans, est un increvable. Son visage est marqué, sa démarche affaiblie, sa voix, plus lente. La gouaille, elle, est intacte. Condamné à plusieurs reprises, passé par la prison, encore en procès, il rêve jour et nuit de politique. Déchu de son poste de maire de Levallois-Perret par la justice en 2019, il a juré de reconquérir son trône.

Dans Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas, Edmond Dantès est détenu dans le château d’If, au large de Marseille. Le jeune homme, emprisonné à tort, échafaude un plan au fond de sa cellule : il se vengera de ceux qui lui ont planté un couteau dans le dos. Patrick Balkany, condamné par la justice, a, lui, forgé son serment dans le secret de la prison de Fleury-Mérogis. Il a été rendu inéligible en 2019. Il se promet, trois ans plus tard, de constituer une liste pour placer ses proches et « virer » celle dont il estime avoir été trahi.

Agnès Pottier-Dumas (Les Républicains), 39 ans, son ancienne directrice de cabinet, gère depuis cinq ans Levallois-Perret. Cadres et familles pas assez riches pour les quartiers les plus chics de la capitale, mais trop pour les communes de la boucle nord de la Seine, aiment s’installer dans cet écrin de 2,4 km² aux portes de Paris. Une vendetta perturbe, ces temps-ci, le calme de la commune de 68 000 habitants. Les élections municipales se tiendront dans un an. Patrick Balkany ne rêve que de voir perdre la maire sortante. 

« Je vais m'occuper de votre cas » 

L’inimitié des deux anciens collaborateurs est profonde. Elle remonte à 2019. Le tribunal correctionnel de Paris condamne Patrick et Isabelle Balkany respectivement à cinq et quatre ans de prison pour blanchiment de fraude fiscale ainsi qu’à dix ans d’inégibilité – les peines ont depuis été réduites. Le maire cherche un successeur – un homme de paille, disent ses détracteurs. Il désigne sa directrice de cabinet.

Rien ne se passe comme prévu. Agnès Pottier-Dumas, à peine adoubée, refuse dans une interview télévisée de lui accorder un poste si elle est élue. C’est elle qui raconte la suite. « Patrick Balkany m’a fait entrer dans son bureau et m’a dit que j’avais 15 minutes pour signer une lettre m’engageant à lui donner un poste à la Semarelp [la société d’économie mixte de la ville] et à Isabelle à la communication, retrace la maire. Je suis sortie sans rien signer. »

L’ancien député, lui, nie tout. Il prétend d’ailleurs ne « nourrir aucune haine envers la maire actuelle ». Le septuagénaire se joue des journalistes et se fiche des preuves qu’on lui soumet. Le téléphone portable d’Agnès Pottier-Dumas fourmille de ses messages incendiaires. Patrick Balkany éructe contre la « trahison » de son ex-dircab et menace même de « s’occuper de (son) cas ». Elle maintient l’avoir averti dès le départ de son indépendance en cas d’élection.

« Patrick Balkany m’a fait entrer dans son bureau et m’a dit que j’avais 15 minutes pour signer une lettre m’engageant à lui donner un poste à la Semarelp [la société d’économie mixte de la ville] et Isabelle à la communication, retrace la maire de 39 ans. Je suis sortie sans rien signer. »

Une liste « Génération Balkany »  avec des proches dessus

Patrick Balkany espère d’abord prendre sa revanche dans les urnes, en son nom. En octobre 2024, il demande au Parquet national financier (PNF) de relever sa peine d’inéligibilité. L’institution rend sa décision le 14 février. C’est un refus. L’ancien maire fait « immédiatement » appel. 

Ses ambitions auraient pu s’arrêter là. Son ADN d’animal politique en a voulu autrement. L’ancien baron du Rassemblement pour la République (RPR) promet qu’il composera une liste sur laquelle il placera des proches, même si son inéligibilité est maintenue. L’affiche, imagine-t-il déjà, arborera son portrait. Son nom sonne comme une bravade : Génération Balkany. 

Sa femme, Isabelle, administre un groupe Facebook du même nom qui compte 1 800 membres. La page est dédiée « à partager les idées défendues et mises en œuvre par Patrick Balkany lors de ses mandats de maire de Levallois de 1983 à 2020 ». L’épouse est aujourd’hui « très fatiguée ». « Elle se repose à Giverny », dans leur manoir en Normandie, confie Patrick Balkany. De là, elle encourage son mari, parti seul tenter de reprendre leur ancien fief.

Ce 11 mars, l’ancien tennisman professionnel Jean-Claude Barclay, 82 ans, l’interpelle devant la mairie :  « S’il y a une liste, je veux en faire partie ! ». « Un millier de personnes veulent me rejoindre », plaisante Patrick Balkany. Il assure qu’il devra « faire le tri ». Klaudia Lafont, son ancienne adjointe aux affaires sociales, sera « certainement » sa tête de liste. L’intéressée, très proche de l’ancien député-maire, n’a pas répondu à nos sollicitations.

« À aucun moment il ne parle des Levalloisiens »

Les fanfaronnades cachent, peut-être, quelques doutes face aux obstacles qui se dressent devant lui. Sa rivale est plus forte que jamais. L’ancien baron enrage, au mois de février, de la voir asseoir son autorité. Huit des neuf élus du groupe d’opposition de droite « Levallois Ensemble » votent son budget. Sur les 49 élus municipaux, 40 siègent maintenant à ses côtés. 

Alors, auprès de tous ceux qui l’écoutent, Patrick Balkany pourfend la « froideur » et l’« absence d’empathie » d’Agnès Pottier-Dumas. « Pour être maire, il faut être aimé des gens. Elle, personne ne l’aime », brocarde-t-il. Lui qui semble si seul promet qu’il n’acceptera jamais aucun transfuge de la majorité. Beaucoup ont fait partie de son équipe lorsqu’il était maire. « À aucun moment il ne parle des Levalloisiens, contre-attaque l’édile. Il ne s’intéresse qu’à lui. Ses deux moteurs sont la vengeance et sa condition personnelle. »

Parmi les quelques opposants, rares sont ceux avec qui Balkany pourrait pactiser. Il avait déjà tenté de le faire en 2020. A la suite du premier tour des municipales et de sa « rupture » avec Pottier-Dumas, le parrain invite successivement chez lui, dans son moulin de Giverny, les autres têtes de liste s’étant qualifiées pour le second tour.

« Ses deux moteurs sont la vengeance et sa condition personnelle »

Une liste du « nouveau » RPR sur les terres du baron de l'ancien parti

Maud Bregeon, alors candidate de La République en Marche – qui indique qu’elle pourrait soutenir Pottier-Dumas en 2026 – refuse de s’y rendre. Arnaud de Courson, candidat divers droite (DVD) et ennemi historique du clan Balkany, accepte le dîner. Mais il refuse toute alliance avec le repris de justice et se lie plus tard à la challenger macroniste. Lies Messatfa, le candidat de la liste « Levallois d’Avenir », rejette lui aussi son parrainage. Arrivé troisième au scrutin, il fait figure, aujourd’hui, de premier opposant, déjà en campagne pour 2026.

Patrick Balkany aura donc pour seuls alliés des candidats sans expérience politique. Il hausse les épaules, sûr de ses forces. Le reste des oppositions, il le sait, ne pèse pratiquement rien. Le Rassemblement national (RN) doit encore officialiser la candidature de Phillipe Coste. En 2020, il avait récolté 1% des voix. 

Cette fois, sa liste pourrait regrouper des candidats de l’UDR ciottiste mais aussi… du RPR. Le député RN Franck Alisio a ressuscité le vieux parti en 2022, reprenant à son compte son nom et son logo à la croix de Lorraine, jamais déposés. Il a ouvert une section du micro-parti dans les Hauts-de-Seine le 4 mars. Une récupération « sans importance » pour Patrick Balkany, qui fut l’un des membres fondateurs du « vrai » RPR en 1976.

Un deuxième retour à Levallois

Quant à la gauche, le revanchard n’y prête guère attention. Sa ville, répète-t-il, a toujours voté à droite depuis qu’il est entré en politique. Au conseil municipal, seuls deux élus s’en réclament. Le socialiste Baptiste Nouguier entretient l’espoir que la gauche soit « mieux représentée » en 2026. Aux dernières législatives, le Nouveau front populaire a obtenu 27% des voix au premier tour. L’élu tentera d’obtenir l’investiture de son parti pour former une liste avec ses « partenaires traditionnels », les Verts, Place publique et le Parti communiste.

Le Monte-Cristo de Levallois a pour lui sa gloire passée. Ses exploits d’hier nourrissent ses ambitions de demain. En 1997, il avait dû quitter son poste de maire après une condamnation pour prise illégale d’intérêt. Patrick Balkany se présente sans étiquette aux municipales, quatre ans plus tard. Il bat au second tour le maire sortant, Olivier de Chazeaux.

L’année suivante, le Conseil d’État annule le résultat, estimant que le candidat était inéligible au moment de l’élection. Des municipales partielles sont organisées dans la foulée. Lors du nouveau scrutin, Patrick Balkany remporte encore l’élection, cette fois dès le premier tour, avec 53% des voix. Charles Ceccaldi, maire de Puteaux, admire alors un « retour à la mairie aussi triomphal que le retour [de Napoléon] de l’île d’Elbe ». Déjà une histoire d’île, de conquête et de revanche sur ses ennemis.