« Comment j’ai survécu avec une jambe cassée » Sous les toits – avec Alejandro

Dans sa chambre de bonne du 17ᵉ arrondissement, Alejandro, 26 ans, étudiant péruvien, a vécu une descente aux enfers après un accident. Seul au 7ᵉ étage sans ascenseur, il a dû tout réapprendre — marcher, se laver, vivre.

Paris (XVIIᵉ). Dix mètres carrés, une lucarne, une vue sur les toits. C’est ici, au 7ᵉ étage d’un immeuble sans ascenseur, qu’Alejandro Mejía, étudiant en philosophie, vit depuis son arrivée en France il y a deux ans.

Une bibliothèque de fortune est installée en face de son lit. Kant, Arendt, Deleuze s’y entassent entre deux tasses de café et une casserole. 

Sous le lit, un jeu d’échecs. « C’est pour quand je m’ennuie », glisse-t-il en souriant. Fan du réalisateur Truffaut, Alejandro se prenait à rêver d’une vie à la Antoine Doinel, personnage fictif des films de Truffaut : « bohème, libre, un peu bancale », résume-t-il. «Le manque d’espace ne me dérangeait pas, au contraire, je voyais l’endroit comme une manière de cultiver mon indépendance. »

Mais quatre mois après son arrivée, tout bascule. Un soir, en rentrant à vélo, Alejandro chute lourdement. Fracture de la jambe. À l’hôpital, on lui pose un plâtre… avant de le renvoyer chez lui à 3 h du matin. Seul, sans béquilles. « J’avais une ordonnance, mais aucune idée d’où en trouver. Et surtout… comment monter chez moi ? »

Son logement est perché au dernier étage, 126 marches à grimper sans ascenseur. Ce soir-là, il a l’impression de gravir l’Everest. « Je me suis tenu à la rampe, je faisais des pauses entre chaque escalier, ça ne s’arrêtait plus. »

Pendant plusieurs jours, il reste bloqué dans sa chambre de bonne. Les provisions de son mini-frigo s’amenuisent. « J’avais très mal, c’était une torture de rester debout plus de deux minutes. Je ne pouvais pas descendre faire des courses, encore moins porter des sacs et remonter les sept étages. »

Encore néo-Parisien, Alejandro n’a ni famille sur place, ni amis. Il vit seul sur le palier. « Pas de voisins bienveillants pour me prêter des œufs », plaisante-t-il, un sourire un peu amer.

J’ai commencé à donner des noms au pigeons sur ma fenêtre

L’hygiène devient elle aussi un casse-tête. Les toilettes sont sur le palier. La douche, à l’italienne aussi. « C’était mission impossible », souffle-t-il. Avec une jambe immobilisée, chaque geste devient une épreuve. Avec une petite bassine qu’il remplit au lavabo de sa kitchenette, Alejandro parvient à gérer son hygiène au quotidien. Pour passer le temps, il joue aux échecs, son unique distraction dans cet espace exigu.

Une amie rencontrée en cours de théâtre lui apporte des courses une fois par semaine. « Elle habitait à l’autre bout de Paris, donc ses visites étaient rares, mais précieuses », se souvient-il. « Elle me parlait du monde extérieur, que je ne voyais plus que par les petits velux qui ne s’ouvrent même pas totalement. »

Alejandro se sent à l’étroit dans cet espace minuscule. Il fait les cent pas. Passe des heures en Facetime avec ses parents restés au Pérou, lit, regarde des séries. « Je devenais presque fou. J’ai commencé à donner des noms au pigeon qui se posait sur le rebord de ma fenêtre. Il y avait Maurice, Samantha et Javier. »

Une chaleur suffocante

À cela s’ajoute la chaleur. On est en plein mois de juillet, et le thermomètre affiche 38 degrés dans son appartement. « Je m’aspergeais le visage d’eau froide toute la journée. »

En hauteur, l’air ne se renouvelle pas. La nuit, les températures très élevées l’empêchent de dormir. Alors qu’à l’extérieur il voit les branches des arbres bouger, il suffoque. « Je ne pouvais pas sortir dehors prendre l’air autant que je le voulais. Ça me prenait plus d’une heure à descendre les escaliers et surtout, ça réveillait la douleur. »

Pendant sa convalescence de quatre mois, Alejandro s’est souvent demandé comment ces logements pouvaient être aussi peu adaptés aux personnes en situation de handicap. « Mon état était provisoire, mais ça a pesé lourd sur mon moral. Combien de personnes vivent ce calvaire au quotidien ? »

En France, on estime qu’environ 220 000 à 350 000 ménages vivent dans un logement inadapté à leurs besoins en raison d’un handicap : Une réalité qui touche particulièrement les immeubles anciens, nombreux dans les grandes villes comme Paris sous les toits.